[Chronique]

Publié le par Métastases

My Own Private Alaska - Amen
par Domino

MOPA-AmenAprès plusieurs écoutes de l'album de My Own Private Alaska, une question vient en tête : "à quoi reconnaît-on un grand groupe?" A peu de choses près, la réponse paraît évidente. C'est un peu comme le grand amour quand on le rencontre, on sait qu'il est là, sans pouvoir expliquer pourquoi. Un grand groupe, c'est ça. Quelque chose d'indéfinissable où les mots n'ont plus de raison d'être. Autre évidence alors : My Own Private Alaska est un grand groupe.

"Où les mots n'ont plus de raison d'être". Voilà qui ne va pas rendre la rédaction de cette chronique aisée. Par quoi commencer quand tous les sens et chaque particule du corps viennent d'être profondément chamboulés ? Il est fort probable que cette chronique parte loin de ce qu'elle devrait être. C'est encore bien peu vis-à-vis de ce que cet album fait ressentir. Pour présenter les auteurs d'Amen (parlons bien d'auteurs, le cadre de simples "musiciens" ou "membres" est ici dépassé), nous avons M au chant. Loin d'être inconnu, il donne tellement plus ici que dans tout ce qu'il a fait auparavant qu'il est inutile de rappeler son passé tant son présent l'écrase. Y est à la batterie, monstre de puissance, de maîtrise, ébranlant le son et le temps de sa frappe. T est au piano, magistral, venant secouer l'âme de l'auditeur de par ses notes. Un trio donc, trois hommes, s'offrant corps et âme à leur art, offrant une musique d'une profondeur jamais vue auparavant.

Sur le papier, la formation semble atypique. Elle l'est. Elle dépasse même toutes normes établies, toute idée préconçue. Doit-on la définir par un genre? Ca serait difficile, et voilà d'ailleurs encore la marque d'un grand groupe, cette impossibilité de définir ce qu'on écoute ; car ces hommes ne suivent aucune tendance ni aucun mouvement. "Piano-Core" lit-on sur leur présentation. Voilà qui est finalement peu équivoque, même un peu réducteur. Peut-être est-ce tout simplement de la musique, au sens noble du terme. Cette musique qui laisse une marque indélébile, qui fait trembler, semble venir d'ailleurs. Cette musique que l'on écoute, que l'on dévore, comme happé par une magie qui nous dépasse. Cette musique immortelle, et pour citer leur producteur Ross Robinson (qui les a repérés), cette musique "vitale" qui, toujours selon lui, sans des projets comme My Own Private Alaska "meurt et devient inutile". On ne peut que lui donner raison.

Alors à l'heure où nombre de groupes courent après leur gloire passée en enchainant les reformations, ou d'autres tentent sans cesse moult revivals, que propose My Own Private Alaska ? Amen, album de onze titres. Onze titres qu'on pourrait qualifier de surhumains. Ou plutôt de terriblement humains tant les émotions transmises par l'œuvre sont d'une sincérité profonde. Incroyables tant elles paralysent. Comme un piège. "Anchorage" est l'appât ; celui qu'on découvre, arrivant sans prévenir. M parle, chante successivement. Les notes de piano se développent petit à petit, irrégulières, bloquant la possibilité de deviner la totale nature de cette introduction. Deux minutes passent, et le trio nous laisse respirer un instant pour ensuite laisser à nouveau cet appât danser devant nous. Il nous attire, nous  plonge vers lui. A trois minutes trente, quelques instants nous sont encore donnés pour respirer. Ca sera le dernier moment avant de dévoiler l'appât complet. La fin du morceau prend déjà aux tripes. Quelque chose de grand se prépare. Un court dialogue en final nous accorde un bref instant de répit. Y amène le deuxième morceau, la voix se fait à nouveau douce et grave pour nous l'introduire. Et dès cinquante secondes - rejoint par T - le groupe s'envole, nous vole. On ne touchera pas terre à un seul laps de temps le long de cette incroyable pièce qu'est "After you". Le cri surhumain de M concluant le tout nous laisse pantois. Magistral. Et ce n'est que le début.

L'occasion de se remettre de nos émotions (fortes, très fortes), la longue introduction de "Die for me" est idéale. Le piano, magique, y étend sa magie, sa manière d'accompagner le chant de M, la frappe de T est magique. La voix est plus posée que précédemment et nous conte une histoire semblant venir d'un autre âge, à coup sûr du plus profond de son auteur. Après un court solo de T, la voix semble lâcher prise davantage, allant chercher au tréfonds de son âme cette puissance qui nous emporte jusqu'a la fin du titre. Le piège commence déjà à se refermer. Y vient à nouveau amener la piste suivante, dans un rythme amenant toutes les probabilités. T se place à sa suite, nous déchirant l'âme dès ses premières notes. M rattrape notre âme et la place entre ses mains, nous contraignant à écouter son histoire, gorge serrée. Le deuxième départ du morceau à une minute vingt-neuf nous paralyse. A environ deux minutes, on pense que le trio va nous laisser reprendre notre esprit. Ca n'est pas le cas puisque celui-ci nous plaque contre les murs de son univers, nous assenant encore mille notes comme autant de coups nous assommant. On cherche à se relever, en vain.

Un accord grave au piano nous accueille ensuite. Etonnant morceau puisqu'il s'agit d'une reprise que le groupe a su se réapproprier. Puissante interprétation qui montre le talent, le génie d'un groupe qui en plus de saisir l'auditeur de par ses morceaux, sait faire sien un titre à la base à mille lieux de son univers. Une démonstration artistique poignante, qui amène d'ailleurs un des passages les plus violents de ce piège qu'est Amen. "I am an Island" semble venir nous saisir de loin, comme si un objet inconnu apparaissait à l'horizon. Non identifiable, il s'approche à une vitesse hallucinante et c'est à douze secondes que le trio nous vole encore une fois. Loin de la terre, il nous assène dix mille coups, Y, M, T offrant le meilleur d'eux-mêmes. Ils nous lâchent lors d'un cri déchirant pour nous récupérer de plus belle. Chacun semble proche du dernier souffle, comme l'auditeur, assommé sous la puissance. Une minute cinquante-cinq et My Own Private Alaska semble perdre tout contrôle, nous laissant contempler la folie s'emparant de lui pendant plus d'une minute. Tout semble morcelé, on reste désorienté, jusqu'au moment où le trio nous reprend en main comme pour nous faire sortir d'un labyrinthe qui semblait insurmontable. Le deuxième départ du morceau fait monter l'émotion, le dernier cri de M la faisant exploser. Quelques secondes plus tard tout semble silencieux... Y brise ce silence, vite rejoint par M et T. "Amen", le morceau titre est saisissant, offrant des montées d'adrénaline d'une force jamais vue auparavant. "Amen" est comme une boite de Pandore, se déchainant dès son ouverture, ne laissant aucune chance à l'auditeur de s'en sortir.

"Kill Me Twice" se cache derrière cette boite et n'est pas en reste, nous offrant une traversée d'un fleuve aux mille tourments, la dernière minute étant d'une noirceur à faire pâlir beaucoup de groupes se revendiquant un tant soit peu "obscurs". Un son peu reconnaissable ouvre "Page of a dictionnary", tout en fausse retenue tout d'abord, comme si chacun des artistes camouflés derrière se retenait de dévoiler trop de puissance d'un coup. C'est à partir de la troisième minute que MOPA se laisse aller totalement, dévoilant progressivement toute l'étendue de la folie qui entoure ce morceau. Une pause avant une montée en puissance se fait sentir aux alentours des quatre minutes. La montée en puissance qui s'ensuit n'en est que plus libératrice. Le piège est presque refermé. "Just like you and I", avant-dernier titre, amène le piège à se refermer de plus en plus. Le trio nous ballade, comme pour nous démontrer que nous ne sortirons jamais du piège dans lequel nous sommes tombés. La progression du morceau ne laisse aucun doute. Nous sommes piégés, perdus. Le trio a gagné, réussi admirablement ce pari. Le piège se referme. Mais tout n'est pas fini.

"Ode To Silence" s'abstient de tout bruit pendant une minute et quelques, nous laissant nous remettre des émotions traversées durant l'album, et aussi pour nous préparer au dernier assaut. Rassemblant leurs dernières forces, les trois garçons déroulent un panel final impressionnant. Une voix française vient s'immiscer à plusieurs reprises dans ce dernier éclat, le dernier mot de celle-ci étant "Merci".

Non : merci à eux, en même temps que de sincères félicitations. Merci pour le voyage, merci pour cette nouveauté dont personne n'a su faire preuve avant. Merci pour cet album, ce piège dont on ne ressort pas indemne. Merci pour la musique, merci pour l'art. Et bienvenue dans le panthéon des grands groupes.


MOPA-Amen

My Own Private Alaska, Amen, sortie physique prévue le 5 avril 2010
Myspace

 

Publié dans Musique

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