[Chroniques]

Publié le par Métastases

Partie IV A : Saturday night wrist
par Domino

deftones1.jpgL’album de la peur : voilà comment on pourrait le qualifier. Celui qui n’a jamais failli voir le jour, ce qui aurait pu être presque préférable car il semblerait qu’après avoir traversé la trilogie du meilleur, celui-ci se voit désormais rentrer dans la trilogie du pire. Chronique d’une déchéance.

Un groupe, beaucoup certains le diront, c’est comme un couple : ça s’entretient. Et à l’époque, les membres semblent l’avoir oublié. Lassé des tournées, fatigué de vivre ensemble, comme Stephen l’a avoué récemment, le groupe splitte officieusement. Plus personne ne se parle vraiment et le premier à marquer cette cassure est Chino, lequel en profite pour sortir le premier album de Team Sleep, délaissant Deftones et déclarant dans la presse qu’il se sent mieux dans son nouveau projet. Son groupe d’origine n’hésite pas à révéler son comportement ingérable, cause des ennuis qu’ils auront avec Bob Ezrin (désigné comme producteur et laissant finalement Shaun Lopez finir le disque), Chino ayant péniblement terminé son travail, plus par obligation contractuelle que par réel envie. Et ça se sent.

Car tout commence mal, très mal. « Hole in the earth » est un ratage complet, semblable à une coquille vide. Le riff est creux comme celui d’un ado découvrant la guitare, les paroles inspirées des ennuis du groupe sont pitoyables (« je hais tout mes amis »… que c’est triste), la construction est bancale et poussive. Comme d’habitude le groupe étonne pour la première piste, mais dans ce cas précis, c’est pour la première fois en mal. Le second, plus violent, reste néanmoins peu inspiré, voire assez répétitif, Chino donnant parfois l’impression de s’étouffer à moitié. C’est le troisième morceau qui commence à nous rassurer. Guidé par un clavier lancinant, posant une ambiance qui n’aurait pas dépareillé sur leur fameux White Pony (à croire que le groupe a bien du mal à s’en détacher), « Beware » se montre plus charmeur, même si on ne peut s’empêcher de grincer des dents vis-à-vis de l’état de la voix de Chino. Complètement à la ramasse, il en fait des tonnes, s’autoparodiant avec un phrasé surjoué et maniéré qui agace plus d’une fois. Pourquoi gâcher l’avant final de ce titre avec des vocalises inutiles ? Pourquoi se lancer dans des cris plus aucunement maîtrisés (qui nécessitent en live une batterie d’effets pour être vaguement écoutable) ? Les defscreams sont envolés, laissant place à des montées de pseudo violence dégénérant dans des aigus peu appréciables. On commence à comprendre pourquoi Chino se sent plus à l’aise dans Team Sleep, où il n’est pas l’unique chanteur et où il se contente de poser des choses beaucoup plus calmes.

Aventureux, on continue l’écoute. Et rien ne s’arrange. « Cherry waves » convainc à moitié, tout comme « Mein », trop plan-plan et où l’intervention de Serj Tankian restera une anecdote bien loin des moments mythiques proposés par Max Cavalera ou Maynard James Keenan. Le point fort cependant de Saturday night wrist, le vrai renouveau (en-dehors du ratage) est la nouvelle identité beaucoup plus lumineuse du groupe. Frank, dont la présence s’est encore renforcée, garnit les morceaux d’ambiances nouvelles et plus colorées qu’auparavant ; dommage cependant que ça soit au service de chansons aussi bancales. La première surprise de l’album vient de ce morceau instrumental où, débarrassé de la voix devenue irritante de Chino, on se laisse balader le long d’un « U, U, D, D, L, R, L, R, B, A, Select, Start » tout en nuances nouvelles et d’une douce mélancolie. Vraie réussite contrairement à « Xerces », trop long, trop chargé, ennuyeux au possible tout comme « Rats!Rats!Rats! », vaine tentative de violence bien pénible où le seul passage délectable sera ce break tribal arrivant comme un cheveu sur la soupe mais ayant le mérite de faire taire Chino. Car il est définitivement le gros point faible de l’album, ce qui devient évident sur « Pink cellphone », morceau électro assumé comme « Teenager » ou « Lucky you » où Chino se fait voler la vedette par Annie Hardy, échappée de son bancal Giant Drag et terriblement charmeuse ici.

Est-ce que quelque chose va nous faire sortir de l’horreur dans lequel nous plonge cet album ? Il semblerait bien que oui à l’écoute de « Combat », perle étincelante au milieu d’un océan de médiocrité. Morceau de bravoure à la grandiloquence lumineuse, le morceau nous laisse pantois, comme si le groupe était venu rassembler toutes ses forces sur un seul titre. La suite n’est en effet pas forcement réjouissante, « Kimdracula » étant d’une répétitivité désastreuse et « Rivière » d’un conventionnel ennuyeux, efficace seulement sur la fin. Nous voilà donc encore plus perplexe qu’à la fin du cru mitigé de 2003.

Car soyons honnêtes, Saturday night wrise est raté. Oscillant entre les rares bons morceaux (« Combat » et « U, U, D, D, L, R, L, R, A, B, Select, Start »), les bons moments flingués par Chino (« Beware » « Pink cellphone »), le fade (« Rapture », « Rats!Rats!Rats! ») et le désastreux (« Hole in the earth »), le cd laisse sur sa faim. Aucun hymne inoubliable, et c’est avec un rire jaune qu’on constatera que désormais, le groupe ne joue aucun morceau de cet opus en live… « Je ne signe plus jamais pour un album dans ces conditions » confiait Chi en interview à l’époque. On le comprend, et on aimerait lui confier que nous non plus, on ne veut plus d’albums comme ça.

Deftones, Saturday night wrise, sorti en octobre 2006
Myspace

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Vidéos :

« Hole in the earth » : La blague. « Can you explain to me now ? » nous couine un Chino bibendumesque dont la vision fera soit peur, soit rire. Monté comme une vidéo de potes sur Windows 95, le clip est à l’image de l’album et de la chanson : une horreur. Alternant des plans d’un kitsch effrayant (les Deftones dans l’espace, youpi !) à des plans… d’un kitsch effrayant, la vidéo fait peur. Inoubliable moment marquant la réelle déchéance du groupe, elle est à voir et à revoir, en faisant toutefois attention de pas y laisser ses yeux.

« Mein » : A croire que Deftones a toujours su parfaitement trouver les images collant à sa musique, le clip de « Mein » colle idéalement à la chanson : très ennuyeux. Des images sans liens se succèdent, le groupe joue mollement live, traîne avec des gens qui n’ont pas grand-chose à faire là… Pas aussi catastrophique que « Hole in the earth », mais bon…



Partie IV B : Diamond eyes
par Domino

deftones-diamond-eyesArrivant à la fin de notre mois spécial Deftones, nous terminons donc logiquement notre chronologie du groupe par ce dernier opus à la genèse chaotique. Diamond eyes est l'album de la détresse, venant remplacer un Eros mis en boite mais que le groupe se refuse à sortir tant que Chi, bassiste, ne sera pas dans l'état de le jouer sur scène. C'est que, oui, Deftones porte toujours sa malédiction depuis l'éponyme, et après les ennuis de voix de Chino, les difficultés relationnelles, voilà que le destin frappe Chi, victime d'un accident de la route le clouant dans un lit depuis maintenant bien longtemps. Le système social américain étant ce qu'il est, la famille de celui-ci se retrouve vite dépourvue face aux soins terriblement onéreux qu'il nécessite. Ni une ni deux, pour conjurer le mauvais sort et remplir les caisses, les quatre membres restants filent en studio pour enregistrer un nouvel album, alternative à Eros, et suite du désastreux Saturday night wrist...

À l'écoute du premier titre, la surprise est de taille. Les riffs de Stephen sont d'une lourdeur et profondeur jamais atteintes (la guitare huit cordes, ça pardonne pas), la section rythmique parfaite, Sergio Vega (ex Quicksand) supplantant parfaitement Chi, et la voix de Chino... Comme s'il n'y avait jamais eu d'opération. Aminci (le desespoir lié à Chi ?), le chanteur Mexicain a retrouvé avec grâce sa voix d'antan, son timbre et ses tics si charmeurs. La fin du morceau, massive, laisse le sourire aux lèvres. Deftones serait-il de retour? « Royal », le titre suivant, semble nous répondre que oui. Riffs massifs encore présents, section rythmique au top, et Chino magistral, particulièrement sur le final d'une violence mythique à la première écoute. « CMND/CTRL » nous renvoie à l'époque bénie d'Around the fur, l'aspect tranchant du morceau étant tout simplement grisant. Chino n'oublie néanmoins pas ses acquis plus mélodiques et n'hésite pas à dévoiler une maîtrise de chant sur les refrains, soutenu par un groupe au top de sa forme. La rythmique laisse vraiment admiratif, et on peut penser ironiquement que Chi et Abe s'étant toujours un peu disputés sur le binôme qu'ils forment (le premier trouvant l'autre incapable de jouer deux fois la même chose, le second préférant se caler sur la gratte plutôt que sur la basse), Sergio a sûrement apporté un peu de fraîcheur à Abe. « You've seen the butcher » continue dans la lignée des titres fêtant la lourdeur retrouvée du groupe, le groupe parvenant même à faire penser à Meshuggah sur ce morceau. Excellent titre, qui amusera sans aucun doute le fan qui n'est pas sans savoir que Stephen adore Meshuggah.

« Beauty school » vient alléger un peu le propos. Plus aérienne et lumineuse, gardant ainsi seulement les bons points des éléments apportés par Saturday night wrist, elle est une vraie bouffée d'air frais après les titres d'introduction. Sergio Vega est ici bien présent en bonne place avec Abe, Stephen et Frank faisant plus office d'ambianceur général. La piste suivante, « Prince », semble être une référence directe avec le « Rx queen » de White Pony, excellente donc, qui intriguera par l'auto-référence que se fait Deftones. Manque d'inspiration ou bien clin d'oeil possible à un morceau favori de Chi ? La lourdeur revient alors avec « Rocket skates », très efficace et avec un Chino encore une fois très en forme. « Sextape » aurait pu faire croire à un titre à la violence sexy ravageuse, c'est finalement à contre emploi que se présente celui-ci. Le titre démarre avec douceur pour venir amener sur les refrains une grandeur et une puissance lumineuse délectables. Comme pour mieux nous étonner de par ses nuances, le groupe renvoie un son lourd de guitare en intro de « Risk », qui sera ensuite contrasté avec les interventions lumineuses de Frank sur les refrains. « 976-EVIL » est dans le même ton que précédemment, tout en adoucissant doucement le propos nous préparant à la redescente de la sphère dans laquelle Deftones nous a emmenés. « This place is death » marque l'apogée finale à travers un morceau grandiloquent où chaque membre explose et illumine une dernière fois un album inattendu.

Inattendu car peu ou personne n'aurait été se risquer à parier sur un retour gagnant du groupe après la déconvenue Deftones et Saturday night wrist. Mais personne ne pourra le nier, cet album est celui que tout le monde attendait, celui d'un groupe qui a su s'unir pour affronter ensemble la douleur de l'absence d'un frère. Transcendant le mauvais sort, les membres offrent ici un disque qui aurait pu être la suite directe de White Pony, véritable condensé de leurs points forts en venant encore se réinventer en douceur comme au bon vieux temps. Des titres cultes ? Ils sont de retour ici : « Diamond eyes », « CMND/CTRL », « Prince », « Rocket skates » sont déjà des inoubliables. Tout comme cet album, à ranger dans leur top 3. En attendant l'espéré retour de Chi malgré la belle prestation de Sergio Vega, bravo à eux.

Deftones, Diamond eyes, sorti le 4 mai 2010
Myspace

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Vidéos :


« Rocket skates » : première vidéo dévoilée, elle montre un groupe en forme jouant dans un hanger en live, faisant découvrir un Chino amaigri et à nouveau charismatique. En parallèle se déroule des scènes énigmatiques avec une jeune fille apparemment dangereuse… Dans la lignée des meilleurs clips du groupe, transmettant parfaitement l'âme de la chanson.

« Diamond eyes » : Vidéo nocturne pour le titre d'ouverture de l'album. Hormis le pantalon bien trop court de Chino, on appréciera l'atmosphère sombre se dégageant d’ici et particulièrement le final, explosif et tranchant.

Publié dans Cycle Deftones

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